Koenig : 10 mesures pour redresser la France
Les derniers chiffres économiques s'inscrivent dans une tendance dépressive datant, disons, d'une bonne trentaine d'années. Depuis que je suis en âge d'écouter les informations, j'entends parler de "la crise", qui s'est installée dans nos esprits, au mépris de la plus élémentaire étymologie, comme un état de fait permanent, une sorte d'agression extérieure qui revêtirait perversement des formes variées, et contre laquelle nos gouvernements devraient courageusement lutter.
J'ai découvert tardivement que cette présentation n'est pas correcte. D'abord, ce n'est pas la crise. Elle viendra, quand l'État sera contraint à la banqueroute ; quand le FN arrivera en tête aux élections ; quand les 25 % de jeunes au chômage décideront d'en découdre avec les baby-boomers qui les gouvernent ; ou quand les jacqueries fiscales éclateront sur tout le territoire. Mais, pour le moment, ce n'est pas la crise : c'est le marasme.
Ensuite, l'État n'est pas le vaillant adversaire de "la crise". Car la crise, c'est lui : les labyrinthes réglementaires qu'il a créés, l'impôt qui vient remplir le tonneau des Danaïdes de la dette, les écuries d'Augias des partis politiques, l'hydre de l'administration aux têtes qui repoussent sans cesse. Devant l'ampleur de la tâche, il nous faudra un Hercule.
Enfin, la plus grande erreur est de faire de cette crise une crise économique, et d'en laisser le traitement à des experts aux solutions toujours timides. Cette crise est avant tout idéologique. Elle repose sur la conviction forgée à l'après-guerre et martelée tout au long du siècle dernier, avec une absence de résistance surprenante, que la puissance publique peut et doit tout planifier et tout résoudre. Cela fait trente ans que gauche et droite empilent donc banques publiques, lois de circonstance, "relances" diverses, "grands emprunts" et "plans industriels". N'est-il pas temps d'essayer un autre modèle intellectuel ? Qu'avons-nous à perdre ?
Je vous propose donc, à l'heure où les leaders de l'opposition (ainsi que certaines voix au Parti socialiste) cherchent des stratégies de "rupture", un plan B libéral, une thérapie de choc en dix mesures. Certaines sont sérieuses, étudiées et chiffrées dans le cadre de mon think tank ; d'autres plus improvisées. Qu'il faille les affiner est une évidence. Que certaines ne résistent pas à l'analyse est probable. Mais qu'elles doivent constituer le point de départ d'un vaste débat est une certitude. Assez de nuances et de politesses ! Intellectuels engagés, rengagez-vous !
1. Faire défaut de manière ordonnée et proactive sur une partie de la dette souveraine. Ce n'est pas une fin en soi, mais la seule manière cohérente de mettre en place le reste des réformes, tout en créant un fort appel d'air à l'avantage d'une jeune génération aujourd'hui spoliée par ses parents. Restructuration de dette et réformes structurelles : c'est un cocktail qui a fait ses preuves ailleurs.
2. Remplacer la plupart des impôts sur les revenus (IR, CSG, voire IS) ainsi qu'un bon nombre d'allocations (famille, transport, logement, etc.) par un "impôt négatif", revenu universel évalué pour satisfaire les besoins fondamentaux et disponible sous la forme d'un crédit d'impôt. Ainsi, chacun se verra garantir en cash un réel filet de sécurité, tout en étant laissé responsable de son utilisation, et sans créer aucun des désastreux effets de seuil et autres "trappes" (à pauvreté, à inactivité, à smicards, etc.). À une époque où le salariat tend à disparaître pour laisser la place à de nombreuses formes d'auto-activité, une telle réforme va devenir indispensable.
3. Supprimer le contrat de travail (ce que les Américains appellent l'"employment-at-will"), ce qui ne signifie pas supprimer le droit du travail (contre les discriminations, l'exploitation, etc.). Embauches, licenciements et démissions seront totalement libres. Chômage à 3 % dans trois mois.
4. Octroyer aux employés leur "salaire complet", comprenant toutes les charges et contributions diverses. Libre à eux ensuite de s'assurer pour leur santé et de cotiser pour leur retraite, l'État restant régulateur (mais plus acteur) de l'ensemble, et protecteur des plus démunis. Les travailleurs frontaliers avec la Suisse plébiscitent aujourd'hui ce système, qui leur permet d'être mieux assurés et pour moins cher. Au passage, le paritarisme corrompu s'écroule.
5. Passer l'ensemble des fonctionnaires sous contrat de droit privé (comme cela est largement le cas aujourd'hui dans... l'armée !) en abolissant le statut de la fonction publique, comme les Suisses l'ont fait il y a quinze ans par référendum. Cela permettra une gestion intelligente des ressources humaines de l'État, ainsi que la suppression de tous les postes inutiles ou redondants (rappelons que le licenciement d'un demi-million de fonctionnaires par le gouvernement Cameron a été largement compensé par la création d'emplois privés).
6. Instaurer la démocratie directe digitale (DDD) au niveau local, et la représentation proportionnelle intégrale au niveau national. La démocratie populaire contre l'oligopole des partis !
7. Attacher à tous les lois, décrets et règlements, y compris de manière rétroactive, une "sunset clause", véritable date de péremption à compter de laquelle ils seront automatiquement supprimés faute d'avoir été renouvelés ou amendés. Fini, l'engorgement législatif et les codes de trois kilos !
8. Ôter à l'État toute emprise directe sur l'économie : privatiser les dernières entreprises publiques, vendre l'ensemble des participations de l'État, fermer la CDC et la BPI, et réorienter l'épargne du financement de l'État à celui de l'économie.
9. Instaurer le principe d'autonomie locale pour les services publics, autogérés par la population (sur le modèle des free schools suédoises).
10. Inscrire dans la Constitution que nul ne peut protéger un individu majeur contre lui-même (ce que permet aujourd'hui la jurisprudence malheureuse du Conseil d'État). Les lecteurs avertis comprendront d'eux-mêmes les conséquences assez larges d'un tel bouleversement juridique, depuis le port de la ceinture de sécurité jusqu'à la légalisation du cannabis ou de l'euthanasie.
Pas possible ? Ah, bon. Pourquoi ?
SURSA LE POINT