Corentin Di Prima - Mis en ligne mercredi 29 juillet 2015, 17h43
1.000 euros par mois pour tous, la Finlande y songe sérieusement. Le revenu pourrait-il être introduit chez nous ?
Le gouvernement finlandais a inscrit le revenu pour tous dans sa déclaration de politique générale. D’autres pays y pensent ou l’esquissent. Que faut-il en penser ?
Est-ce même souhaitable ? Pour les partisans de l’allocation universelle, tel Philippe Van Parijs, cette dernière incarnerait un véritable « instrument de liberté » offrant à chaque individu, « en particulier à ceux qui en ont le moins, davantage d’options pour choisir le type d’existence qu’ils souhaitent mener. »
Mais l’allocation universelle, que l’on définit comme « un revenu versé par une communauté politique à tous ses membres, sur une base individuelle, sans conditions de ressources ni obligation de travail » trouve des détracteurs. À gauche aussi, voire surtout.
Marc Goblet, secrétaire général de la FGTB, nous a fait part de son opposition à cette idée. « Ce serait une remise en cause du système de sécurité sociale », estime-t-il, « parce que cela voudrait dire que l’allocation universelle ne relèverait plus des cotisations sociales mais serait une forme de revenu d’insertion comme ceux octroyés par les CPAS. Mais elle serait entièrement dans les mains du politique et ne ferait plus l’objet d’une négociation paritaire » entre partenaires sociaux. « Elle signifierait très clairement la fin de la concertation sociale », avance Marc Goblet. Pour lui, il faut rester dans le cadre actuel, et aller dans le sens d’une « individualisation des droits, en finir avec les notions de chef de ménage, de cohabitants, pour permettre aux gens de vivre décemment et dignement. Les gens ont cotisé individuellement, il n’y a pas de raison que leurs allocations diffèrent à cause de leur situation familiale. »
Il rejoint en cela Michel Jadot, président de l’Union nationale des mutualités socialistes. « Le principe d’une allocation universelle ne ferait que remettre en cause les fondements de l’État providence et engendrerait une société duale », écrivait-il fin mai dans une carte blanche publiée dans Le Soir.
Est-elle l’avenir de la sécurité sociale ? L’allocation universelle est-elle l’avenir de la sécurité sociale?
Corentin Di Prima - Mis en ligne mercredi 29 juillet 2015, 17h42
La Finlande y pense sérieusement. Une bonne idée ?
Longtemps considérée comme une utopie, l’idée d’introduire une allocation universelle est désormais en passe de se concrétiser en Finlande, où le gouvernement de centre-droit compte tester un dispositif, dont les détails ne sont pas encore connus, dans les mois qui viennent. La Suisse l’envisage. Le Brésil s’est lancé.
►L’allocation universelle est-elle souhaitable ? Le débat entre Philippe Van Parijs et Paul De Grauwe dans Le Soir de ce mercredi .
De quoi s’agit-il ? Dans l’ouvrage qu’ils lui ont consacré en 2005, et consultable en ligne à cette adresse, Philippe Van Parijs et Yannick Vanderborght définissent l’allocation universelle comme un « revenu versé par une communauté politique à tous ses membres, sur base individuelle, sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie ».
Ainsi, chaque individu, quelle que soit sa situation familiale et le montant de ses revenus, percevrait un montant garanti.
Dans quel but ? « Aujourd’hui, quand je vois l’évolution des aspirations dans notre société, les changements sociologiques, les évolutions par rapport à ce que les gens recherchent dans leur activité, pour moi, l’allocation universelle, c’est avant tout un subside, un soutien à l’autonomie des personnes. Autonomie dans leur choix de vie : en termes de cohabitation et d’autonomie dans leurs activités, quelle que soit la nature de celles-ci. Un nombre incroyable de personnes aspirent à faire autre chose que ce qu’elles font. Aujourd’hui, c’est extrêmement difficile. L’allocation universelle est un subside à l’innovation sociale. », nous confiait en décembre 2014 l’économiste Philippe Defeyt, l’un des précurseurs de l’idée en Belgique, avec Philippe Van Parijs.
► Lire : L’allocation universelle, solution d’avenir ou label de précarité ?
Combien ? A définir. La Suisse va soumettre à référendum l’idée de faire de l’allocation universelle la base de son système social, en versant 2500 francs suisses (à peu près 2350 euros, NDLR) à tout citoyen.
Et en Belgique. Philippe Van Parijs a effectué des calculs avec l’appui du ministère des Finances, à la fin des années 90. Il apparaissait alors qu’il était possible pour l’Etat de financer une allocation de 500 euros « moyennant un certain nombre de réajustements de notre système social et fiscal. Elle serait financée pour partie par la réduction de ce montant dans les transferts sociaux et la suppression de toutes les allocations inférieures à ce montant, mais aussi par la suppression de l’exonération fiscale sur les premières tranches de revenus et d’autres ajustements de l’impôt des personnes physiques. L’objectif étant d’arriver à une opération fiscalement neutre. »
Paul De Grauwe (KUL) n’est pas d’accord. « Si l’on donne à chaque adulte vivant en Belgique 1.000 euros par mois, cela représente une dépense de 100 milliards par an. Cela fait 25 % du PIB. Bien sûr, il y a des réductions naturelles de dépenses de la Sécurité sociale. On peut éliminer dans ce schéma les allocations de chômage et une partie des pensions, mais pas tout puisqu’une partie de la population a une pension supérieure à 1.000 euros – la pension moyenne des fonctionnaires est de 1.500 euros. Il faudra donc continuer à faire des économies sur les pensions. Et évidemment, on ne touche pas aux soins de santé. Ce n’est pas une destruction de la Sécurité sociale, c’est une autre façon de la financer, d’envisager les transferts. Quand on fait le calcul, on peut peut-être diminuer les dépenses de la Sécurité sociale de 50 ou 60 milliards tout au plus. Mais cela laisse un déficit de 40 à 50 milliards. On augmente au final substantiellement les dépenses de l’Etat, de 25 %. Sauf si on augmente substantiellement l’impôt mais alors on crée un nouveau problème. Personne n’est obligé de travailler dans ce schéma mais cela ne va pas résoudre le chômage avec une telle mesure. En fait, l’utopie, c’est le caractère inconditionnel : si tout le monde a le droit à cela, c’est trop cher pour l’Etat. Et si on donne 500 euros à chacun, on n’aura pas résolu le problème de la pauvreté. On emploie un boulet de canon pour tuer un moustique », nous dit-il.
Séduisante sur le principe, a priori progressiste, l’idée aurait pourtant des effets très pervers, considèrent certains. Dans une carte blanche publiée dans Le Soir fin mai, Michel Jadot, président de l’Union nationale des mutualités socialistes, dit tout le mal qu’il pense de l’allocation universelle. « Le principe d’une allocation universelle ne ferait que remettre en cause les fondements de l’État providence et engendrerait une société duale », estime-t-il.
► Lire : L’allocation universelle, monstre du Loch Ness
Pour le sociologue Mateo Alaluf (ULB), il s’agirait pas moins d’une « machine de guerre contre l’Etat social ». Dans une carte blanche publiée sur le site de la RTBf, il explique : « La protection sociale consisterait ainsi à terme dans l’assistance de l’état aux pauvres par une allocation universelle et un système d’assurances privées basé sur l’accumulation financière pour les plus aisés. On renouerait de cette manière avec la logique libérale basée sur le droit de tirer de son travail une propriété privée et le droit à un minimum de revenu assuré par l’état. Ce système permet de distinguer ceux qui ont pu se constituer un patrimoine par leur travail de ceux qui, dans la mesure où ils n’y sont pas parvenus, se trouvent acculés à la pauvreté. Le caractère universel du revenu permet de masquer cette stigmatisation. »
L’allocation universelle avantagerait-elle ceux qui gagnent déjà bien leur vie ? L’économiste Philippe Van Parijs recadre : « C’est un malentendu fondamental sur l’allocation universelle. Il est clair que cette allocation devra être financée et qu’une part importante du financement viendra d’une réforme de l’impôt des personnes physiques, qui supprimera ces cadeaux fiscaux qui aujourd’hui sont donnés même aux plus riches. Selon le montant exact de l’allocation, il y aura un montant à compléter, soit par d’autres formes de fiscalité, soit par un léger ajustement de l’IPP. Mais ce qui est important de voir, c’est que donner une allocation, même aux riches, n’est pas meilleur pour les riches, mais c’est meilleur pour les personnes qui ont des revenus incertains, des revenus faibles, qui pourront désormais compter sur un socle de revenus sur lequel ils pourront appuyer leur existence d’une manière fiable. Dans certains cas, leur situation sera améliorée, mais il s’agit surtout les possibilités ouvertes dans les choix de vie. »
Elle pourrait, estime Philippe Defeyt, prendre la forme d’un « système dans lequel il y a l’allocation universelle, mais aussi de la protection sociale et de l’assistance sociale. »
Et vous, qu’en pensez-vous ?
L’allocation universelle est-elle finançable en Belgique ?
Corentin Di Prima - Mis en ligne mercredi 29 juillet 2015, 12h47
La Finlande y songe sérieusement. Le revenu pourrait-il est introduit chez nous ? Explications.
Les experts sont partagés. Philippe Van Parijs (UCL), l'un des précurseurs belges de l'idée, a effectué des calculs avec l'appui du ministère des Finances, à la fin des années 90. Il apparaissait alors qu'il était possible pour l'Etat de financer une allocation de 500 euros « moyennant un certain nombre de réajustements de notre système social et fiscal. Elle serait financée pour partie par la réduction de ce montant dans les transferts sociaux et la suppression de toutes les allocations inférieures à ce montant, mais aussi par la suppression de l’exonération fiscale sur les premières tranches de revenus et d’autres ajustements de l’impôt des personnes physiques. L’objectif étant d’arriver à une opération fiscalement neutre. »
► L’allocation universelle, solution d’avenir ou label de précarité?
Paul De Grauwe (KUL) n'est pas d'accord.
« Si l’on donne à chaque adulte vivant en Belgique 1.000 euros par mois, cela représente une dépense de 100 milliards par an. Cela fait 25 % du PIB. Bien sûr, il y a des réductions naturelles de dépenses de la Sécurité sociale. On peut éliminer dans ce schéma les allocations de chômage et une partie des pensions, mais pas tout puisqu’une partie de la population a une pension supérieure à 1.000 euros - la pension moyenne des fonctionnaires est de 1.500 euros. Il faudra donc continuer à faire des économies sur les pensions. Et évidemment, on ne touche pas aux soins de santé. Ce n’est pas une destruction de la Sécurité sociale, c’est une autre façon de la financer, d’envisager les transferts. Quand on fait le calcul, on peut peut-être diminuer les dépenses de la Sécurité sociale de 50 ou 60 milliards tout au plus. Mais cela laisse un déficit de 40 à 50 milliards. On augmente au final substantiellement les dépenses de l’Etat, de 25%. Sauf si on augmente substantiellement l’impôt mais alors on crée un nouveau problème. Personne n’est obligé de travailler dans ce schéma mais cela ne va pas résoudre le chômage avec une telle mesure. En fait, l’utopie, c’est le caractère inconditionnel: si tout le monde a le droit à cela, c’est trop cher pour l’Etat. Et si on donne 500 euros à chacun, on n’aura pas résolu le problème de la pauvreté. On emploie un boulet de canon pour tuer un moustique », nous dit-il.
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